30 - Golf: travail ou pas travail? (Juin 2016)


Je ne sais pas vous, mais je viens d’être très intéressé par la polémique survenue suite à la diatribe entre François Illouz, les joueurs professionnels, la Fédération et à laquelle les journalistes font échos. 

Le Journal du Golf est un super magazine pour les mordus du petit monde du golf français. J’en suis, vous le savez car bien que j’aie été directeur industriel et directeur d’usine alors que mon destin premier était d’être ouvrier, on ne retient de moi que je suis amoureux du golf ! Heureusement c’est vrai. Et on ne critique que ce que l’on aime…

François, je ne le connais que pour son palmarès amateur, mais aussi pour son statut d’avocat. Sa plaidoirie sur « Pourquoi les français ne gagnent-ils pas ? » est sans doute maladroite, surtout pour un Responsable Fédéral du Haut Niveau, mais est-elle vraiment si en dehors de la plaque ?

J’aime ce jeu pour tout ce qu’il m’a apporté et j’ai écrit un livre pour témoigner de mon itinéraire pour apprendre, m’améliorer pour jouer un parcours scratch régulièrement et même moins parfois. Je me suis déplacé sur le Circuit Européen et sur le Tour PGA pour tenter de mieux comprendre la différence jeu amateur et monde professionnel. J’ai écrit sur cela.

Nous avons une spécificité française et c’est bien souligné : le beau geste. C’est notre histoire, c’est vrai et cela transparaît même dans l’industrie. Je suis forgeron et j’aime assez avoir montré aux Japonais, Américains et autres Allemands ce que l’on savait faire et ils nous ont passés des contrats. Pour ce faire, la stratégie a été de prendre le problème par le bon bout : faire efficace pour gagner les marchés et tant qu’à y être faire beau, plus près de la réalité des pièces ouvragées.

Les golfeurs français sont en retard sur cette manière de faire. Le jeu de golf, c’est « combien et pas comment », alors pourquoi ne pas mettre l’enseignement en rapport avec cette évidence ?

Mon expérience, celle que je lis des interviews de tous les joueurs, français et étrangers est que le travail du swing ne suffit pas pour bien jouer. Oui, au fur et à mesure que le jeu s’affirme, il faut le durcir ce foutu swing, le rendre plus fiable. Une nécessité pour le très haut niveau, mais pourquoi en faire une doctrine stricte depuis le début ? Comment expliquer que 75% des joueurs en apprentissage arrêtent au bout de 2 ans ? Comment expliquer que l’on oblige les gauchers à jouer en droitier encore aujourd’hui ? Pourquoi prenons-nous si peu de cours de golf ? Pourquoi ne cherchons-nous pas à améliorer notre jeu quotidien ? Question d’enseignement en premier.

Ce n’est peut-être pas un hasard, mais l’enseignement du golf est fait comme pour apprendre l’anglais. Il n’est pas fait pour le parler avec des anglais, il est fait pour bien le parler selon la pensée française. Et c’est cela qui gâche tout. Car apprendre l’anglais si c’est avec un australien ou un égyptien, voire un londonien ou une fille de Liverpool, vous avez l’impression de ne pas parler la même langue. Le golf c’est pareil. Chaque joueur a son swing. Le swing est sa propre marque, son histoire. Ne pas vouloir l’admettre et l’insérer dans la pédagogie de formation des Pros est une hérésie. Tous les joueurs en pâtissent et se dégoûtent du jeu. Donc nous avons moins de licenciés car au golf, on n’apprend pas à jouer mais à se détester. Seuls les passionnés résistent pour une maigre satisfaction.

Le travail des pros est très différent de celui des amateurs et pour cause, les joueurs ont raison, nous ne jouons pas le même jeu. Colsaert est une belle référence mais il n’est pas crédible quand il parle du travail des professionnels. Il est toujours avec les français. Quand vous regardez les deux circuits, quand vous observez les entraînements et les parties entre européens et américains, le PGA tour est plus « sérieux », j’allais dire « polard ». Plus focus sur leur travail de préparation, l’approche de la concurrence ou de la compétition. La formation des anglo-saxons est très différente de celle des français. Ils apprennent le jeu. Ils jouent sur l’enthousiasme et la responsabilité des apprenants. Nous sur la frustration et l’assistance… 

Il est assez remarquable dans le Journal du Golf de voir en parallèle, les commentaires de Jacquelin et Lorenzo-Vera, (j’écris cet article à Montpellier) et celui de Stalter qui sort de Berkeley. Ils n’ont pas la même sonorité. Quand ensuite vous lisez en détail l’interview de Orchel, vous comprenez pourquoi il peut gagner et espérer gagner un Tournoi Majeur.  Car c’est la question de tous. Les français gagnent plus qu’avant, mais le fond est : ont-ils le potentiel pour atteindre l’inaccessible étoile : le graal d’un majeur ?

Je dis, moi aussi, que les français et pas seulement les golfeurs n’aiment pas le travail. En fait le travail ne nous est jamais expliqué. Il ne nous est jamais présenté correctement. Nous faisons des progrès, c’est certain mais qui en fait ? Des athlètes bien nés et bien accompagnés. Des équipes bien formées et bien coachées, le handball a commencé, le basket à suivi, le foot s’est transformé…. Le rugby a du mal, il est en transition. 

La nature des coaches qui font des gagnants ? Stratèges éclairés et intransigeants sur les principes du jeu, pédagogues, adeptes du plaisir d’accomplir chaque tâche à sa place par chacun de leurs joueurs et sans rechigner (peut-être parce qu’ils aiment leur métier). La victoire est aléatoire mais c’est le chemin pour tenter de la toucher qui est important. Les joueurs de golfs français essayent mais la route est compliquée, la concurrence est rude, cela ne va pas s’arrêter. Nos joueurs sont bons, meilleurs que jamais, mais les autres ont de l’avance et ne vont pas s’arrêter. Les scores sont en train de descendre partout dans le monde. Notre retard sera dur à rattraper sans appliquer la méthode des anglais, même revue et corrigée par notre sempiternelle « exception culturelle ». Elle existe, mais pour gagner souvent il faut la gommer. Nous ne ressentons pas la « grinta » des anglais ou des espagnols…Demandez à Teddy Rinner ou Zinedine Zidane, ils sauront vous dire que quel que soit leur talent, sans travail ils ne gagneraient pas.

Suivez quelques journées d’une semaine d’un Padraig Harrington ou Brooks Koepka (je ne parle pas de Vijay Singh !) et les journées passées à s’entraîner d’un José-Maria Olazabal sur les fairways du golf de Seignosse pour ajuster la précision de ses drives. Woods ? Il n’a pas perdu son jeu, il a perdu son père et pour être un champion, il y a de grandes failles dans l’âme pour être différent. Il a laissé son pilote (sport individuel qui se joue en équipe chez les professionnels) qui a fait devenir Adam Scott, maître à la veste verte et puis s’en est allé. Scott a beaucoup travaillé pour renouer cette année avec le succès…  « Beaucoup travaillé » ? Je vous le dis tout net, on n’en a pas idée tellement c’est dur !

Et dans la vie des joueurs, il n’y a pas que le golf. L’organisation, la gestion des émotions, le travail mental est un autre aspect du jeu à travailler en dehors des séances d’entraînement. La sophrologie est peut-être dépassée selon les dire de certains. De nouvelle techniques existent efficaces, j’en connais, mais une chose est sûre, pour gagner il faut en avoir envie et s’y préparer et cela demande un état d’esprit particulier. Avoir la foi en soi et beaucoup de pugnacité être « focus » sur l’objectif. Notre philosophie française est aussi celle du second pourvu qu’on ait bien joué. Ce n’est pas de ce point de vue là une bonne conseillère. La victoire se donne à celui qui la veut le plus. A celui qui ne doute de rien…
Aduler un premier, Français nous ne savons pas le faire. Etre premier c’est suspect, dès l’école primaire on le sait. Les bons élèves sont chahutés au lieu d’être protégés. Dernièrement, mon frère me rappelait justement les paroles de Jules César : « les Gaulois seraient imbattables s’ils cessaient de se quereller entre eux ».

Avec un tel esprit, voyez où nous en sommes politiquement, économiquement. Le golf est un petit monde, parfois étroit d’esprit et joué par des français, il y a forcément un peu de déchet. Au lieu de tout jeter de la lettre incendiaire de François Ilouz, essayons de tirer les enseignements de ce qui au fond, pose malgré tout question ? Alors d’autres joueurs naîtront avec une âme de champion… et un cœur de français.




Michel Prieu

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