42 - Lettre à Victor (20 Novembre 2016)

Cher Victor,

Je suis en train de te voir souffrir sur le Jumeirah de Dubaï à la poursuite de Hatton en compagnie de Fitzpatrick qui tentent de te brûler la politesse. Les anglais sont partout mais je te fais confiance pour la suite, il reste 7 trous. Ton putting est absent et cela t’énerve…

J’avais envie de t’écrire depuis longtemps, ton talent le mérite. J’ai plein de choses à te dire depuis que tu es apparu à la face du monde il y a déjà 4 ans. Tu as ce quelque chose en plus qui fait le champion. Ton sport n’est pas bien connu des français, ils le jugent mal et n’ont pas forcément envie que leurs enfants le pratiquent. Ils ont tort car c’est un sport magnifique pour les enfants.

D’ailleurs tu le sais bien toi. Tu as grandi dedans à ta façon et tu en connais tous les bienfaits.

Je suis franchement content de te voir de nouveau au sommet d’un leaderboard. Je pense d’ailleurs que tu aimes les fins d’années car tu brilles autour du tournoi de Turkish Airlines. Cela est peut-être dû au fait que tu aimes les parcours qui te sont proposés à ce moment-là. Ou encore que tu veuilles sécuriser ton année et que tu engranges la monnaie pour pouvoir t’en servir en cours d’année suivante.

Tellement de choses courent sur toi que parfois cela me fait de la peine. Tu restes une énigme par ta différence. Peu de gens te font de cadeau et encore ce matin à Agadir j’ai entendu pendant que j’étais au practice des opinions peu amènes à ton sujet.

Il y a peu, j’ai écrit que nous n’avions pas en France de champion capable de gagner un majeur à court terme. Ce n’est pas tout à fait vrai pour toi et j’en dirai un peu plus après. En même temps que toi, je surveille tes copains et quelques jeunes, Levy, Langasque mais aussi Stalter, Gros et Pavon... Les autres plus âgés même s’ils sont de sérieux artisans, ils sont un peu dépassés. C’est une bonne idée que tu aies choisi Romain pour aller au Championnat du monde. Il a la moelle et si vous avez des atomes crochus ce sera tout bénéfice pour entrer dans la bagarre avec les autres équipes. Cela fait bisquer mais un choix se respecte, pour une fois que quelqu’un fait preuve de responsabilité.

Leur talent de ces quelques noms quoiqu’avec des parcours personnels. A mon avis il apparaît clairement et je voudrais qu’ils travaillent différemment. Qu’ils mettent dans leur projet un plan d’amélioration permanente. J’ai déjà dit que je ne comprenais pas pourquoi Joël n’était pas resté sur le circuit américain puisqu’il avait sorti son épingle du jeu avec les équipes de Berkeley sur le championnat universitaire. Je sais que la Fédération depuis 2005 a fait quelques efforts pour le haut niveau mais c’est insuffisant encore. Non pas en termes d’argent mais de méthode. Vous voyagez beaucoup plus jeunes que vos camarades Havret ou Levet mais c’est la forme de travail qui mériterait d’être modifié. Je vais y venir.

C’est là que tu entre en jeu car avec ton talent, M. Ducolombier t’a permis de venir sur le devant de la scène internationale très tôt. Romain a fait de gros progrès avec lui aussi dans sa vision du jeu. A ton corps défendant tu es un exemple et il serait intéressant pour tous les jeunes qui arrivent que les méthodes employées avec toi soient divulguées et renforcées. C’est le rôle de ton coach sans aucun doute pour sa propre entreprise et à la FFG de s’inspirer de sa pratique. Je ne dis pas cela au hasard.

D’une part, j’ai fait l’effort de m’intéresser depuis longtemps au golf sportif et au sport de haut niveau. J’ai vu comment s’entraîner avec méthode et assidûment apporte résultat et satisfaction. Les quelques dizaines de personnes qui m’ont accompagné dans mes équipes peuvent en témoigner. D’autre part et à côté de cela, j’ai acquis une notoriété de haut niveau dans mes occupations professionnelles pour aller tailler des croupières aux étrangers sur les marchés internationaux. Pour cela, j’ai dû beaucoup travailler et innover, transgresser des règles immuables ou dites comme tel. Jeune patron je n’ai pas accepté cela. Le golf c’est pareil : il faudrait enfin innover et ne pas se contenter des poncifs éculés. Ne pas se contenter de l’à-peu-près ambiant.

Hatton marche sur l’eau et Fitzpatrick aligne les bons coups. Il semble serein quand manifestement tu galères, même si ton grand jeu est en place. Le putting ne revient pas mais peut-être que ton attitude est en cause…

Le golf est impitoyable au plan sportif amateur et encore plus professionnel. Les anglo-saxons sont plus individualistes que nous mais avec nos méthodes plus collectives nous pourrions exister aussi. Ce qui nous manque en France, c’est un peu plus de dureté dans l’approche du jeu, un peu plus d’exigence dans le travail mental autour du green. Un enseignement innovant et plus strict. Nous manquons de résistance au mal pour être présents sur les derniers tours. Nous subissons trop, notre lucidité s’émousse.

Qu’est-ce qui me permet de dire cela. J’ai travaillé mon golf amateur avec un très bon coach qui est connu en France, Michaël Wolseley. Il enseigne près de Los Angeles et j’ai été le revoir dernièrement. Un chercheur ce type exigeant et passionné. Il m’a invité sur le parcours du Valley Club à Montecito, magnifique écrin qui sert de terrain d’entrainement à Fred Couples et Woods pour préparer Augusta. Les greens y sont fabuleux et redoutables à la fois. Ils y passent régulièrement pour des exercices de funambules. Je connais les méthodes d’entraînement des tireurs à l’arc, celles des coureurs de biathlon, celles des danseurs étoiles, des patineurs et des judokas…Guy Novès pendant ses vacances est allé en Nouvelle Zélande pour parfaire ses connaissances de coach de rugby.

Je veux te dire qu’avec mes pratiques et connaissances dans plusieurs domaines du sport, de la culture et des métiers que j’ai pratiqués, je connais le golf. Je n’accepte pas l’amateurisme de nos élus fédéraux et je lutte pour la recherche de l’excellence dans tous les domaines. Dans ce sens je ne suis pas très français, être le premier, le précurseur j’adore et je me suis nourri de cela. Du coup j’admire les gens comme toi mais s’ils ne travaillent pas pour élever leur talent je deviens méchant…

Tu es trop jeune pour avoir pris le temps de t’intéresser à mes idées de vieux con, mais tu dois avoir une idée sur tous ces sujets. Je sais que tu n’aimes pas parler de ta pratique avec les journalistes. Ils n’ont pas été très adroits avec toi depuis les débuts de ta jeune célébrité. Rassure-toi je ne les aime pas non plus dans d’autres secteurs que le sport. Je n’aime pas leur façon d’aborder leur métier ni en politique ni en sport, en culture pas toujours. Leur pouvoir est incommensurable et leur sens des responsabilités en berne pour beaucoup…

J’ai une idée de la politique qui conviendrait à la France pour retrouver un peu de crédibilité au plan international. Nous avons le génie des idées mais ne savons plus comment les mettre en œuvre. Pas un manque d'argent mais un peu de courage et de sens des responsabilités. De la reconnaissance aussi pour ceux qui nous ont montré la voie et perdu leur vie parfois.

Ainsi un talent détecté, une idée nouvelle à développer peut-être gâchée par des gens incompétents. Dans le golf, il y en a beaucoup tout simplement parce que nos élus ne connaissent pas le haut niveau véritable. Le haut niveau français tient compte d’une chose essentielle : il a l’esprit français. Il est nourri de notre histoire. Donc ni américain, ni coréen, ni japonais et encore moins anglais ou allemand… Nous sommes uniques, pas les meilleurs, uniques simplement alors raisonnons français et travaillons!

Copier est une bêtise quand on a du talent, mais pour élever le talent au niveau du succès et de la notoriété, il y a un travail et de la création à trouver. Donc des bouts de méthodes, des pratiques sur lesquelles nous avons des lacunes sont utiles à connaître. Je suis en train de te dire qu’un américain ou un tchétchène dispose d'une méthode qui te permettrai de trouver un peu plus de confiance dans ton putting par exemple. Un peu plus de sérénité dans ce qui te perturbe au fond de toi quand tu as le maillet en main. Les exercices d’endurance mentale, tu dois y avoir goûté et peut-être que cela ne te plaît pas. Tu as sûrement dû te rendre compte combien tu as progressé avec cependant. Ton problème est peut-être ailleurs. Tu es un écorché vif à te voir répondre à certains. Quelque part en toi une douleur te fait lâcher une partie de golf ou gêne un pan de ta vie. Pour t’aider, il y a des techniques qui pourraient te soulager et te redonner plus souvent la légèreté d'hier quand tu as joué 64 sur le même parcours où tu rames en ce moment.

Je suis en train de te dire que je n’accepte pas le fait qu’un jour le putting est bon et le lendemain moins. Je le constate mais je sais que c’est notre variabilité intérieure qui fait la différence. Je vois suffisamment de tournois dans le monde et j’admire le travail que vous faites. Je dis que pour le putting personne n’a fait le tour de la question comme pour le swing par exemple. Parce que le putting, c’est plus complexe que tout le reste du jeu. C’est le point final d’un trou, d’un tour, d’un tournoi. C’est le moment de vérité et tu sais comme c’est complexe la vérité. La mienne n’est pas la tienne, ni celle de ton coach. Pour approcher ta vérité, jeune comme tu es tu as besoin d’aide. Tu as besoin de technique sans doute, pour ton mouvement et la lecture d’un green, mais surtout pour lire en toi. Pour comprendre ce moment qui fait que la balle rentre ou virgule sur le trou. Cela c’est dans ta tête, je le sais bien, j’ai trouvé pour moi quelques rudiments de réponse. C’est cela qui me permet de dire que l’enseignement du golf est incomplet pour les jeunes champions comme toi. Il y a des choses à inventer par des passionnés pour permettre à de jeunes joueurs d’atteindre le sommet de leur art. Je ne parle pas en l’air : Lavillenie, Killy, Manaudou mais aussi Jacquet, Zidane et Deschamps l’ont fait parfois sous contrainte. Les fédérations, certains anciens champions ont joué un rôle dans ces réussites, pourquoi celle du golf n’en serait pas capable. Pas question d’argent j’insiste, question d’idées et de volonté. Question de ne pas se contenter de maigres résultats. Nos jeunes méritent mieux que cela.

 Hatton s’est enflammé, Fitzpatrick vient de le rejoindre. Tu bagarres pour rester dans le par et tu sais que c’est insuffisant. Au niveau de jeu actuel sur le circuit, tu sais que le dernier jour si tu ne joues pas en dessous du par, la victoire choisit un autre de tes copains de jeu. Or la victoire se prépare, c'est long parfois.

Ton camarade Stenson, sans le dire, est sur les dents un peu derrière toi. Son job, lui c’est la première place Européenne. Son pote Noren a eu l’outrecuidance de venir lui titiller les talons. Dernier jour -7, pour mettre le jeune coq à distance et ramasser la mise. Un patron ce mec, vieux (40 ans), mais cela te laisse une marge si tu as envie d’aller au bout de ton talent. Il a choisi sa vie à la suédoise, son succès est là. Il me rappelle Bernadotte son ancêtre qui est…palois marié à une marseillaise. Expatrié par Napoléon qui ne supportait pas d’avoir un rival !  

Tu vois les français ont du talent, mais ce sont les autres qui en profitent aujourd’hui, c’est désespérant. Note que je ne me plains pas, j’ai fait mon trou à ma façon et je suis le plus heureux des mecs sur cette Terre.

J’ai été un peu long mais l’amour de la France et de son rayonnement me tient à cœur. Nous avons besoin pour nous redresser d’avoir des leaders, des talents qui tiennent le haut du pavé. En golf, c’est toi qui, peut-être, aura ce destin. En tout cas si tu le veux car sans cela rien ne sera possible. Tout dépend de ton choix. Brusquement et peut-être sans le vouloir, tu es un personnage public et ta réussite te donne en exemple. Du coup, je voudrais en connaître un peu plus, savoir si l’on peut compter sur toi pour tailler le diamant que je vois au travers de ton jeu. Je sens que tu as fait des progrès dans tes réponses et les journalistes se méfient depuis que tu as été capable de les snober. Je me marre de leurs précautions oratoires à chaque interview.

Ton cercle communication pourrait donner des informations pour arrondir ton image et montrer le travail que tu accomplis quand tu disparais brusquement. Tes fans ne comprennent pas. Et j’en suis. Je comprends que tu veuilles de temps en temps mettre de la distance avec ton golf et préparer ton avenir. C’est une vraie bonne nouvelle pour moi, mais chaque fois que tu t’absentes des parcours, les informations sont biaisées par les médias. Elles donnent une image négative que tu ne cherches pas à redresser. C’est dommage tu devrais y penser. Tes fans seraient encore plus nombreux. Tu dois bien sentir leur aide dans les moments difficiles comme cela arrive pour les malades que l’on soulage à distance par des pensées positives.

Je comprends que tu te protèges mais ce n’est pas juste de laisser dire des conneries à ton sujet. Puisque tu es du sud envoie des information positives. Pour une fois à ce jeu Paris ne règne pas…

Voilà, cher Victor tu viens de perdre. Ce morpion de Matthew a croqué son pote Tyrrel au dernier trou. Un tueur ce jeune, 22 ans, un an de circuit, deux victoires et déjà un gros coup…Un nouveau concurrent pour toi et il n’est pas le seul. J’ai pris soin de t’écrire en français. Peu de joueurs du circuit peuvent me lire, mais les petits jeunes qui arrivent en France vont aussi vouloir ta peau, alors donne-moi des nouvelles pour me rassurer. J’aime bien te voir en haut du leaderboard, ne nous lâche pas.

Bien à toi.


Michel Prieu


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