50 - Sergio : magnifique drame (10 avril 2017)


Bonjour,

Combien de fois vous ai-je dit : « le golf c’est la vie » ? Ce matin c’est un peu plus vrai, « El Nino », je veux croire que Sergio a finalement trouvé sa vérité.

Voir ce Masters en Andalousie au fond du pays Valencian et voir gagner un gars du pays, ce devait être écrit. J’ai compris dès jeudi, qu'un Sergio nouveau était arrivé. Dès le premier jour sur le parcours d’Augusta Masters, il a montré une maîtrise qui l’a fait roi.
Cela m’est apparu en regardant jouer le petit dernier, celui qui va le remplacer, Jon Rahm, 22 ans, je ne sais s’il a toutes ses dents. 

Il y a une filiation dans le sport espagnol. Ballesteros a donné la main à Olazabal, et quand il a gagné Sergio arrivait. Pas une génération spontanée, le tissu de bon joueurs espagnols est assez étoffé mais pour être digne d’un tournoi majeur, c’est une autre grandeur. Sur ce qu’il a déjà montré Rahm est de la trempe de ses aînés. Un athlète encore un peu pressé mais qui marche sur les traces des grands joueurs de son pays.

La pièce de théâtre que nous a proposé Augusta (en "Georgia" de ray Charles...) est à comparer à la lutte des générations. Les jeunes ne sont pas encore mûrs. Spieth et Fowler manquent de patience, Augusta pour se laisser apprivoiser demande de la régularité chaque jour. C’est ce qu’avait compris Tiger. Pour tenir ses scores ses efforts étaient énormes pour redresser son jeu. Son charme était dans cette volonté sans faille, cette foi en lui-même.

Spieth s’est brûlé les ailes l’an dernier et cette année a recommencé, sacré 12! Pieters a lui aussi de l’avenir mais à trop attaquer possible de se tromper. Le rythme du parcours d’Augusta pousse à la faute, pas moyen de garder un rythme élevé alors qu'il faut s'engager à fond sur chaque trou (Seuls les "Par "5 en dessous de la moyenne statistique des trous sur le tournoi). Il faut trouver en soi la ressource et ses nuances Sergio, Justin et Matt ou Charles l’ont montré.

Hoffman n’a pu résister, il s’est usé au fil des jours, pareil pour Moore ; chaque tour des quatre tours a sa vérité avec la météo qui ici joue toujours. Bonjour jeudi et vendredi! Ce parcours demande à partir doucement et accélérer mais d’un pied léger. S’enflammer, manquer d’humilité vous fait rapidement perdre pied.

Les jeunes ne pouvant rivaliser pour ce dernier tour, nous avons eu assez vite un match-play. Rose a un jeu qui me plait par sa régularité. Bien entendu il est flamboyant à ce niveau de jeu, il ne peut en être autrement. Ce que je veux dire chez lui tous les détails sont réglés. Tous les joueurs le disent: pour gagner c’est le détail qui compte. Comme en rugby britannique j’imagine son jeu façon rouleau compresseur : il laisse peu de place au hasard. Sergio s’est de ce point de vu bien assagi. Effet Angela ? quand un homme est changé comme ça, cherchez la femme.

Avec son départ canon, il avait le moyen de contrôler la meute des chasseurs. Ils en ont sûrement pris un coup sur la tête. Ils étaient en retard et avaient déjà perdu des points quand Sergio a amélioré son score. Si vous êtes joueurs vous savez que quand vous êtes devant vous pouvez contrôler mais à la chasse il faut attaquer et ici c’est risqué.

Seuls les vieux briscards ont résisté et Pieters quand il a cessé d’attaquer comme un malade. Son attitude en cours de partie a changée. Effet de la fatigue, conseils de son caddy ? Son jeu est taillé pour gagner, son agressivité aussi mais il doit la polir, son heure viendra. On a encore de belles bagarres à voir évoluer la nouvelle génération.

Celui qui fait mon admiration c’est Matt Kuchar. Son sourire fait plaisir à voir et il est sûrement aimé de beaucoup de gens. Un joueur pour faire aimer le golf à ceux qui pensent que ce n'est pas un sport pour eux. Le médaillé de bronze des derniers JO est encore superbement placé. Toujours quelques erreurs qui le laissent a portée de victoire mais un joueur généreux qui donne envie de jouer, ce n’est pas un surhomme, on peut s’y comparer.

Le drame de cette dernière partie est né de la défaillance passagère de Sergio en milieu de partie. Le 10 et le 11 mal négociés j’ai cru un moment la malédiction revenue. D’autant que Rose accentuait sa pression tout en régularité. C’est impressionnant un joueur régulier en match-play. Cela ne laisse aucun moment de répit. Sergio s’est repris au 15 avec des drives monumentaux et des coups de fers ciselés. Un putting mieux affûté lui aurait donné sa victoire plus tôt (à Justin aussi!) Incertitude du sport magnifique ...

Rose a fini par capituler. La concentration est une lutte intérieure féroce. Son score du samedi (jour de remue-ménage !)  qui l’avait propulsé à côté de Sergio l’avait sûrement un peu fatigué. La dynamique de Sergio retrouvée, surpris il s’est senti intrigué, moins sûr et a perdu un peu de sa lucidité sur des putts que jusqu’à ce moment de la partie il n’avait pas loupé. Sergio non plus n’a pas été parfait, au 17 et 18 sans douter sur ses putts, il pouvait terminer. Le scénario devait se dérouler au complet avec prolongations!

Je reviens sur la notion de concentration. C’est un terme qui pour moi fait débat depuis longtemps. Je lui préfère le terme d’attention. Avec ce mot, je me trouve plus entier, j’ai l’impression que je dirige les débats de mes pensées, je suis "positif". Avec la concentration, je me sens écartelé, séparé intérieurement. Je fais l’effort de me rassembler, je dois lutter contre les pensées négatives…je ne suis pas « ici et maintenant ». Entre le moment où je prends une décision (pensée ou visualisation) et où se déroule le temps de mise en action, cet intervalle de temps (temps psychologique ?) laisse place à des peurs qu’il me faut impérativement chasser pour ne pas perturber mon action. Laisser mon cerveau commander exactement ce que je lui ai demandé et réussir sans coup férir. Je reviendrai dans peu de temps sur ce sujet…

Malgré l’extrême agressivité qu’il faut déployer pour maîtriser un parcours de ce niveau, ce que j’ai aimé aussi dans cet affrontement de deux formidables tempéraments, c’est la noblesse de leurs sentiments. C’est Rose qui discrètement au 15 félicite Sergio pour son magnifique eagle (touche de piquet pour albatros !). Ce petit geste montre qu’il ne faut pas toujours désespérer des hommes. C’est encore leur manière de se dire qu’ils ont fait le boulot. Ils aiment ce qu’ils font et c’est une leçon pour tous ceux qui regardent le sport. Il y avait un combat, il n’était pas terminé mais ils ont montré à la terre entière qu'ils avaient du plaisir à lutter ensemble pour la beauté du jeu. Leur respect vient sans doute des exploits de leurs joutes de Ryder Cup où l’un et l’autre y sont des joueurs incontournables depuis quelques années. Leur accolade finale est une belle leçon pour tous ceux qui ne savent pas ce que veut dire aimer jouer.

Une bonne leçon d’avenir dans tout cela. Avant le Masters, il ne faut pas trop jouer, ne pas arriver fatigué. Mickelson et Rahm l’ont sûrement payé. La victoire de Sergio après celle de Stenson montre en regardant Couples amoureux invétéré de ce jeu que si l’on aime le golf pas la peine de courir après un palmarès précoce.

Sergio est un exemple extraordinaire. Talentueux, adoubé par ses maîtres « Seve » et « Txema » qui ne l’ont jamais lâché. Comme beaucoup de latins (trop ?) il a eu du mal à trouver l’équilibre de son jeu. Pas dans sa technique. Je ne sais pourquoi mais il y a une école espagnole en équitation comme en golf. Leur jeu de mains n’est pas vilain. Il met leur talent à fleur de jeu. Leur dextérité crève les yeux, mais c’est dangereux. Sergio est resté fidèle à son père, son seul entraîneur (je le comprends mieux que personne…). Depuis ses débuts, ce n'était pas sa technique qui était en cause mais son attitude. Et s’il a enfin montré des tripes sur cette partie, je suis content pour lui. Il a certainement trouvé son chemin de vie. Il s’est pris en charge. Il ne s’est plus retourné vers le ciel pour l’aider, il a assumé ses responsabilités. Surtout il ne s’est pas appesanti sur ses micro échecs. Il a fait pour le mieux, c’est heureux pour lui et ceux qu’il aime. C’est heureux pour ceux qui l’aiment.

Je l'écris avec d’autant plus de plaisir que c’est un beau message qu’il transmet aux jeunes joueurs français qui auraient envie d’enfin rivaliser avec les étrangers. J’attends avec impatience les résultats de la collaboration de Pete Cowen et Alexander Levy. On verra dès jeudi à Rabat. Nos joueurs ont des swings mis au point avec enthousiasme par nos éducateurs nationaux. Je conseille à mes amis de regarder les vidéos de la FFG. Patrice Amadieu fait du bon boulot, j’ai eu la chance de pouvoir passer entre ses mains et sa pédagogie.

Mais heureusement aussi je sais que cela ne suffit pas pour arriver au niveau de Sergio et des gagnants d’un tournoi majeur. Les ingrédients de la victoire se préparent en combattant ses peurs, en s’affrontant à l’inconnu. Et au golf, cet inconnu ce n’est pas que le jeu, c’est nous. Toute notre responsabilité est là : trouver au bon moment la décision qui favorise le geste juste et sûr qui fait le succès recherché. Pour soi et seulement pour soi.

Cette recherche personnelle est une clé du succès pour trouver l’estime de soi. Sergio malgré ses échecs, les railleries dont il a été l’objet, a mis à contribution ses ressources mentales pour se trouver. Se prouver à lui-même que rien n’est impossible. Il a sans doute compris que lui-même ne croyait pas en lui. Les autres ne peuvent rien pour nous sauf à nous aider sans jamais se mettre à notre place. Sergio a dû cesser de se mentir à lui-même, de croire enfin qu’il était capable et de se mettre en marche pour faire ce que les autres ont vu avant lui.

Son talent crevait l’écran depuis longtemps. Il ne pouvait pas être ce joueur si formidable de Ryder Cup et être un joueur piteux au moment d’un Majeur. Sans doute voulait-il se faire aimer des autres. Il a en partie réussi et sa victoire la plus grande aujourd’hui, c’est d’avoir montré à tous qu’il s’aime lui-même. C’est la leçon bien plus importante pour lui que le résultat de ce dimanche à Augusta.



La veste est verte lui va bien, il peut aujourd’hui mieux savourer son destin. Merci Sergio pour ton amour du sport que l’on aime et pour cette leçon de vie.




Michel Prieu

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