46 - Lettre à Alexander Levy (14 mars 2017)

Cher Alexander,


Je peux te dire franchement que ta décision de changer de coach et de confier ton entraînement à Pete Cowen m’a surpris très agréablement. Je suis carrément enchanté de ta décision.

Je ne dis pas cela contre Alberti, tu t’en doutes, depuis le temps que tu bosses avec lui tu as engrangé de bons résultats. De cette longue coopération, que ta décision de te séparer de lui soit difficile à prendre, c’est naturel, ne culpabilise pas. La vie est comme cela. Ce qui me paraît important c’est que tu aies compris que tu devais élever ton niveau d’exigence pour te dépasser. C’est un beau projet pour toi. Tu dois te libérer de ton surnom "El Toro".

Je suis tes résultats depuis que tu es amateur. Tu as eu chaque année une progression constante. Entré dans les Tours Européens tu as gagné rapidement. C’est une belle trajectoire mais je crois que tu as envie de plus que cela.

J’aime ta dégaine et ton franc sourire. Je suis attentif à ton talent. A voir tes yeux pétillants de malice, j’imagine que tu es gourmand et que tu observes ce qui se passe autour de toi tout le temps.

Je me doute aussi que tu compares ta façon de jouer avec les joueurs que tu côtoies. Je suppute que quand tu joues un tour à côté d'Ernie Els ou d’Erick Stenson, tu dois apprendre des tas de choses. Leurs manières de jouer sont différentes, mais l’efficacité c’est un sommet de calme et de sûreté.  Je pense surtout qu’Erick doit t’intéresser. Un déconneur dans le vestiaire mais pas sur le parcours. Un Monsieur qui respire le chaud et le froid. C’est pour toi un point sensible je crois. Ton attitude montre que tu es chaud tout le temp. Suis mon raisonnement...

Les deux fois où je t’ai suivi dernièrement, c’était au Porsche quand tu as gagné en trois tours. Tu as sorti de ton sac et de ton cœur un jeu exceptionnel. Aligner 62-63 en deux parcours ce n’est pas courant mais tu conviendras avec moi que dans un tournoi sur 4 tours, c’est toujours plus difficile de tenir le haut du leaderboard. Ce n’est pas méchant de ma part, mais je ne doute pas que tu saches exactement ce que je veux dire. Le dernier jour en tête du tableau des résultats n’est jamais facile à gérer. Toi qui aime le foot, tu as vu comment PSG a explosé !

Je crois cependant qu’en cette fin septembre, tu as compris quel était ton potentiel avec plus de précision. A force de voyager, tu vois comment il faut scorer pour être le dernier jour en dernière partie et jouer la gagne.

Le second parcours récent c’est au Maybank Championship où tu finis 4ème. Dans mon fauteuil, je n’étais pas content quand je t’ai vu partir sur plusieurs tees et discuter avec ton partenaire. Dans ton attitude, tu étais volubile et je sentais que tu n’étais pas présent pour jouer la première place. Il me semble que tu t’es dispersé en chemin ce dernier jour. Tu n’avais pas l’attitude du gagnant, tes positions de corps le disaient à la télé. Tu dois savoir toi aussi, je n’en doute pas. Cela t’était déjà arrivé. Sur le retour tu m’as donné l’impression de lâcher deux points par manque d'attention qui t’ont sorti du podium. Ce n’est pas très grave, un détail, mais symptomatique de l’exigence du « haut niveau » dont tout le monde parle, sans savoir ce que cela veut dire dans ce formidable sport.

Je suis sûr que ce sont des moments comme cela qui t’ont fait vouloir « voir autre chose ». Cette attitude mentale de ta part est salutaire pour ton futur. Je ne dis pas cela pour te faire plaisir. Je sais pour avoir travaillé et beaucoup voyagé à l’étranger que tu es dans le vrai. Voir « autre chose » de l’étranger te fera grandir.

Déjà tu es né aux USA et je veux croire que même si tes parents sont français, cela t’aura marqué. Je suis de ceux qui pensent que le lieu de naissance laisse une trace indélébile et marque l’histoire de l’enfant. Ce n’est pas neutre dans la vie qui suit.

Tu hésitais entre un américain et Pete Cowen. Tu as choisi Cowen et un mode de rencontres qui me paraît un compromis équilibré et lucide pour toi. Je crois que tu as un entourage depuis longtemps qui est de bon conseil pour toi. Selon les papiers et les commentaires que tu peux faire, je crois que tu es conscient de ce que tu dois endurer pour espérer atteindre le plus haut niveau.

Je suis d’accord avec F. Illouz quand il suppose que les joueurs français n’ont pas le niveau pour gagner un majeur. Non pas que certains aujourd’hui comme avant n’aient pas le potentiel mais en tout cas pas la bonne façon de travailler. Je te signale que ta décision envoie un sacré message à tous tes copains.

Pour deux raisons. En premier, tu montres le chemin de sortir du ronron quotidien et tu as été accepté par le coach que tu voulais. Bravo! Je sais comment se fait le conseil de haut niveau dans l’industrie, tu ne peux pas parler avec un grand patron si tu n’as pas de potentiel et le niveau pour cela. Il y a égalité dans un tel dialogue chacun sait ce qu’il peut apporter à l'autre. Cowen sait qui tu es, il a aussi pris le temps de juger. Un coach de haut niveau, cela se mérite. Encore bravo!

Ensuite, intéressant que ce soit un anglais. Ce qu’il va t’apporter c’est un pragmatisme comme il l’a fait pour Stenson ou Westwood. Il va affûter ta lucidité et t’obliger à être plus calme. J’allais dire, il va intégrer le pragmatisme dans ton jeu. Je trouve que les anglo-saxons ont une manière particulière de se servir de leur agressivité. Ils semblent ne pas être cyclothymiques même si le terme paraît à certains un peu fort. Stenson est dans ce cas un exemple type comme joueur. Son professionnalisme, sa capacité à rester présent façon « rouleau compresseur ». Cela apparaît très bien dans le rugby aussi. Ils sont capables d’être stables à un niveau de jeu élevé alors que les latins sont plus « up and down ».

Intéressant aussi que tu ne quittes pas l’Europe tout de suite. Tu vas structurer plus ton jeu, tout en lui gardant une grande variabilité. Cowen va structurer ta technique et la manière de t’en servir sous pression sur les tournois. Tandis que les parcours que tu vas jouer sous toutes les latitudes vont te donner les variations tactiques et techniques qui vont gonfler ton volume de jeu. Ton assurance nouvelle viendra de là.

A la sortie de cette nouvelle éducation, tu vas basculer dans le camp de ceux qui peuvent gagner un majeur. C’est une exigence, un esprit particulier pour en gagner un, tellement la marche est haute dans l’Histoire du golf. Peu de gens qui te voient jouer avec facilité imaginent un seul instant la dureté de ce jeu. Il faut un mental de fer, ce n’est pas inné, c’est travaillé. Woods y a perdu une part de sa vie d'aujourd'hui.

Sache en tout cas que je serai ravi pour toi si tu rentres dans la catégorie des vainqueurs de majeurs et qu’ainsi tu me fasses mentir. Par ta décision tu as fait de moi un de tes fervents fans.

Tu dois te dire qui c’est celui-là. Pas une lumière, un type qui aime le golf comme toi. Il a appris très tard à jouer avec un Basque. Puis 5 ou 6 ans après a trouvé le coach qui « lui a appris jouer ». Un Irlandais, joueur du circuit européen.

Depuis je mesure la différence entre « faire du golf » et « jouer au golf ».

J’étais directeur d’usine, passionné de sport et j’ai cassé plusieurs fois le par d’un parcours en compétition (il n’y a que cela de vrai). Jamais je n’aurai pu le faire sans le plaisir de jouer et pour cela de m’entraîner. Cela m’a valu de devoir inventer des méthodes de travail, conseillées par mon coach et corroborées par ce que j’avais appris en ergonomie. Je sais ce que c’est que le haut niveau professionnel et pas qu’au golf !

Pour finir, je trouve que le mode de relation que tu as choisi avec ton nouvel entraîneur est conforme à ta réalité. Je regarde tes saisons et je devine comment tu fonctionnes. Tu crées des zones d’entraînement pour corriger ce qui n’a pas marché et progresser. J’ai raisonné comme toi. Travailler dur en début de saison et se réserver des temps de respirations. Tes succès t’y ont aidé sans doute mais ce que je ressens c’est que le moteur de tout cela c’est ton projet et beaucoup moins l’argent. Et cela c’est important, je comprends que tu as assimilé (en naissant aux USA ?) la loi de l’intention et la loi de l’attraction. C’est un vrai secret pour ceux qui les comprennent et surtout les appliquent.

Tu as choisi un métier difficile et en plus tu veux être bien meilleur. De temps en temps tu dois avoir peur. De ce côté aussi tu peux améliorer tes capacités. Les psychologues sont là pour t’aider aussi, mais des techniques sont encore plus efficaces. Si tu as besoin, je te les indiquerai. Commence à travailler et à assimiler ce que Cowen te transmet. La peur, c’est vite réglé, question de méridiens et de bonnes questions.

En choisissant Cowen, tu as décidé de devenir plus constant. Tu as observé que tous les ans les scores sont plus bas pour monter sur un podium alors pour gagner, c’est encore plus dur. Je te souhaite bon courage. Tu en avais, tu en auras encore plus besoin. Tu es entré avec ton choix dans la tranche du dépassement de soi. Pas courant chez un français.

Tu as tous mes encouragements et sache que j’ai préféré t’écrire ce petit mot maintenant car c’est l’aube d’un renouveau pour toi et pour nous. La FFG à besoin d’un champion pour pouvoir exister à ce que j’ai compris. Ce pourrait être toi et franchement je te le souhaite. Tu ne le sais pas mais tu es un précurseur. Depuis que tu es né, un type qui fait bouger les lignes. Tu as donné par ta décision un exemple que je voudrais voir suivre par le petit Romain Langasque.

J’espère te voir l’an prochain en Equipe de Ryder Cup. Je ne prendrai aucun engagement avant de connaître les choix de Thomas Bjorn. Si tu es là compte sur moi, je garde un peu de ma tire lire pour venir te voir.

Si tu es dans cette équipe alors tu franchiras allègrement la dernière étape, celle de jouer régulièrement les tournois du pays où tu es né.

D’ici là, prends soin de toi, tu as toute mon affection.


Michel Prieu


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