37- Le cas Romain Langasque (14 Septembre 2016)


Chers amis du golf, j’imagine qu’à la lecture de ce titre vous allez vous dire, mais de quoi se mêle-t-il encore ? Liberté de pensée…

Cela veut dire que déjà vous connaissez Romain Langasque. Vous avez vu également dans l’article « Rendez-vous avec François Illouz » que notre réflexion commune est : « Pourquoi les Français ne gagnent-ils pas (plus) ? »….

Romain Langasque, 21ans, incarne justement cette attente. Pourquoi en parler si tôt ainsi ? Parce que son cas va me permettre d’assembler les conseils dont je vous parle quand on s’entraîne, à Agadir ou ailleurs, en équipe. Je sais que c’est dans ces moment-là que vous êtes les plus attentifs. L’esprit d’équipe vous stimule on y reviendra en novembre prochain.

Romain a une carrière de joueur de golf amateur remarquable. Gagner le "British Amateur", c’est montrer son talent surtout en confirmant par l’Open d’Espagne. Il est Premier Amateur, au moment où s’ouvrent les portes vers le golf professionnel.  

Avant cela, il a pris soin d’obtenir le baccalauréat ce qui à 18 ans et dans le contexte fédéral, sport études ou pôle espoir, n’est pas une mince affaire. Je pense donc qu’il est intelligent, d’ailleurs cela se voit surtout si on le regarde jouer. Il a honoré ses deux invitations récompenses de sa victoire à The Open 2015 et le Masters d’Augusta de 2016 de manière remarquable, en passant le cut au milieu de l’armada des meilleurs joueurs du monde. 

Il termine le Masters par le deuxième score du 4ème jour pour se classer dans les 35 premiers, ce qui témoigne de son niveau de préparation, sa compétence et sa hargne à bien figurer. J’ai parlé du talent, du travail; son attitude vis-à-vis du statut de professionnel montre sa patience. Il a attendu la fin du Masters pour commencer sa carrière début avril 2016.

Je suis sa carrière sur Facebook car il est suffisamment à l’aise dans son métier pour donner quelques informations, son ressenti sur les parcours et les tournois qu’il joue. C’est sympa et cela donne la température sur son plaisir à jouer, sa passion du jeu. Cela donne aussi des indications sur son entourage, sa famille, la structure qui l’accompagne. Je crois que papa veille.

Voilà pour le personnage et son environnement. Après 6 mois de Challenge Tour les résultats parlent pour lui. Souvent placé, sans avoir gagné encore, mais 3 top 5 et un seul cut raté (12 tournois), il est 3ème de la Course pour Oman et surtout 150ème sur la Rice to Dubaï avec seulement 4 tournois où il a été invité. Ce jeune homme est d’une correction exemplaire pour ses hôtes. Il est courageux et reconnaissant !

J’ai eu le plaisir de le voir jouer au National. Il a un swing de drive impressionnant. Au cours des 4 jours, les trous 7, 8 et 9 lui ont fait des misères. Jamais il ne n’a montré son dépit. Il est patient, … et appliqué. Pourvu que cela dure, car les marges d’amélioration qui lui restent à faire sont relativement étroites mais demanderont un effort important.

Pour baisser encore ses scores au driving, il va devoir améliorer son pourcentage de précision. Il est à 50%, le standard des cracks est supérieur à 65-66%. A ce stade, pas évident à tenir sur la longueur de la saison. Suis-je trop exigeant ? Pour sa première demi-année de professionnel il vient de gagner 200000 euros, combien d’ingénieurs peuvent se targuer de cela ? Aucun. Il a le talent pour viser haut, pourquoi s’en priver ? Je crois que gagner, c’est déjà une posture, une attitude, une « arrogance » bien placée. Elle vient avec une certaine maîtrise et une recherche de l’excellence : une volonté intime, non pas de domination des autres, mais de l’accomplissement de son rêve personnel. Il me semble dans ses gestes qu’il est dans cette phase de recherche. Cela lui donne une maturité certaine…

Autre point de détail pour compléter sa panoplie de champion : la régulation. La régulation vient d’un meilleur équilibre du jeu entre distance et précision. Compromis mental pas très évident à trouver pour le joueur et son entraineur, ni dans la manière de frapper, ni dans la stratégie et la tactique dans chaque tournoi. Les joueurs ont des parcours qui leur conviennent mieux que d’autres. Les choix stratégiques liés au terrain, aux données climatiques et au degré d’engagement du joueur (il ne peut pas être au top tout le temps) permettent de préparer les 14 clubs à mettre dans le sac chaque jour. Il semble à l’aise sur tous les parcours.

On pourra remarquer que Stenson a gagné son premier majeur en ayant sa moyenne de distance de la plus basse depuis 2011 (289,7 yards) et son deuxième meilleur score en régulation de ses 10 dernières années 78,24%. Très bon score au nombre de putts par tour 29, 63 et au nombre de putts par trou 1,75. A remarquer : meilleur score des sorties de bunker putt : 65,22% de réussite avec un seul putt. Henrik, référence réputée depuis des années, a sans doute fait un effort technique important pour privilégier la régulation. On pourrait faire de même avec un joueur comme Matt Kuchar, joueur régulier par excellence, mais qui peine à concrétiser la victoire. Par contre il me semble que des joueurs ont régressé dans ce domaine précision-distance, Mac Dowell, Donald et maintenant Mc Ilroy. Les joueurs évoluent en permanence, les statistiques sont importantes à tenir comme dans la gestion d’une entreprise. Les Américains de PGA tour sont très précis sur leur tenue, les Européens un peu moins.

J’ai suivi Romain d’un peu plus près depuis le 100ème Open de France. Son attitude générale me paraît très correcte sur le Tour Européen. Il observe. Par instant, surtout lorsqu’il est en difficulté, il est capable de sortir le coup juste pour sauver sa carte. Cela pourrait lui permettre d’être plus agressif sur le Challenge Tour mais il garde sa ligne stratégique. En fait je ne l’observe pas comme un joueur de golf mais plus comme un jeune ingénieur qui entre dans sa profession. Son attitude est épatante pour moi. J’ai vu ramer Harrington, j’ai vu jouer et s’entraîner Vijay Singh, je ressens son éducation au jeu de golf de cette trempe. Et déjà il en a donné les exemples. Il assure et il assume pour renvoyer l’ascenseur à ceux qui l’invitent. Derniers exemples Crans Montana et KLM.

On l’invite en Suisse, il est tout heureux, le dit et finit 7ème. Une superbe fin de semaine (il ne se plaint pas de travailler le dimanche). Premier le deuxième jour et deux jours de bagarre personnelle pour rester au contact des meilleurs. Claquer 63 ce n’est pas rien en compétition, il faut digérer, pas simple dans la tête. Deux derniers jours : un dans le par comme pour reprendre sa respiration, puis de nouveau un tour sous le par pour terminer. Il a la moelle, je le crois.

Mieux encore pour ma conception du golf au KLM. J’aime jouer pour donner le meilleur de moi mais dans ma vie professionnelle, quoi que je fasse, c’est pour gagner de l’argent en plus de faire le métier que j’aime. Et là mesdames et messieurs, vous le savez, ce n’est plus la même musique. Je l’ai déjà souligné, le but principal dans une semaine de tournoi professionnel, est de passer le cut. Seul moyen de récupérer un peu d’argent pour régler l’intendance. Le deuxième jour à quatre trous de la fin, erreurs successives, il est sorti du cut. Il enquille un dernier birdie pour rentrer dans le tableau final. Chapeau Romain, Chapeau ! Belle attitude de professionnel de golf…Deux scores sous le par pour terminer. Cette 34ème est un bel exemple de pugnacité et de courage. L’objectif de rentrer sur le Tour Européen, atteint dès cette année, c’est l’Amérique !

Allons un peu plus loin. Après quelques années d’observation, je trouve les golfs américains plus réguliers dans leur fermeté sur les greens en particulier. En Europe (dont Australie et Afrique du Sud) les différences de climat donnent des parcours où les joueurs doivent s’adapter en permanence. Cela développe chez les joueurs européens une variété dans le jeu au détriment de la régularité semaine après semaine. Les joueurs recherchent un feeling de jeu plus que des données objectives de précision et de régularité.

Les entraînements sont par conséquent différents et le niveau général des scores aux Etats Unis est nettement plus bas. Les prix sont aussi plus élevés. Le joueur qui passe le cut et termine dernier du tournoi, empoche 10000$. Bien plus qu’en Europe, ce qui fait la dureté des tournois américains. La tension sur chaque épreuve sur les 2 premiers jours est considérable. Les joueurs de battent avec eux-mêmes pour passer le cut, seul but avoué, penser à la gagne cela vient à la fin du 3ème jour.

Chers amis vous sentez bien que nous n’abordons pas le jeu comme cela pour nos amusettes du dimanche. Tout cela est très sérieux et le métier de Romain s’il fait rêver beaucoup d’entre nous, clubs en mains, il est seul responsable de tous ces résultats. Eternelle solitude du joueur de golf que nous avons du mal à comprendre en France, pays de l’assistanat. Je crois fermement qu’il est conscient de ce fait.

Du coup, je verrai bien Romain dans ce contexte PGA. Il me paraît déjà mûr pour ces joutes. Si j’en crois ce que je lis, il a tapé dans l’œil des gens d’Augusta et des journalistes spécialisés américains, il a fait le buzz déjà. Si sa trajectoire se confirme l’an prochain sur le Tour Européen, les portes pourraient bien s’ouvrir pour quelques invitations. La vie américaine est différente de la nôtre (personnellement comme industriel j’en suis fan), il faut s’y mouler et y entrer avec toutes les responsabilités que cela demande. Très différent du cocon français mais tellement formateur et rémunérateur pour ceux qui le souhaitent.

Si l’occasion se présente il devrait prendre conseil auprès d’un coach américain. Ils sont plus aguerris, plus pragmatiques, plus incisifs que les nôtres sur certains points : surtout autour et sur le green pour sauver les coups ou en glaner quelques autres sur le parcours.

Grappiller quelques % ou quelques dixièmes sur les résultats statistiques, c’est s’ouvrir les portes de la victoire et passer de statut de bon joueur à celui de joueur majeur. Les indicateurs statistiques ont impitoyables et traduisent à la fois les points forts et les points à améliorer. Bon courage Romain, tu es sur le bon chemin et tu fais plaisir à voir jouer. Tu as déjà compris que : « Le talent sans travail n’est qu’une mauvaise manie » (Georges Brassens).

Merci Romain de nous donner, si jeune encore, cette belle leçon. On devrait faire plus confiance aux jeunes … et pas qu’au golf !



Michel Prieu

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